TRAFIC DE DROGUE
Les proches des
victimes dans l’oubli
Une enquête en scène présentée par Jean-Baptiste Mouttet
Intégral
Partie 1
Partie 2
Partie 3disponible le 6 décembre
Partie 3 disponible le 6 décembrele 6 décembre(disponible le 6 décembre)
Les rivalités meurtrières entre les bandes du narcobanditisme laissent des familles déchirées. Des associations, la justice, l’État cherchent des solutions.
Visionner ou assister à cette enquête sur scène, c'est cheminer dans la tristesse du deuil et regarder en face la détresse, la marginalisation. La question que s'est posée le journaliste avant de débuter son enquête était simple et pourtant peu abordée par les médias : que deviennent les amis, les familles des personnes assassinées par le narcobanditisme ?

Le record des homicides dus au trafic de drogue dans les Bouches-du-Rhône, datant de 2016, n'avait pas encore été dépassé quand Jean-Baptiste Mouttet est monté sur scène. La fin d'année a été meurtrière. Le tragique compteur s'est arrêté à un lourd bilan : 33 personnes sont tombées sous les balles dans ce contexte.

Ce sont autant de familles qui sombrent sans toujours savoir à qui ou quoi s'accrocher. Nora Sbaï a perdu son fils qui a été tué, puis son aîné qui a dû fuir, son emploi, son logement et au final, elle-même. Elle se demande toujours « à qui s'adresser », et pourtant lâche ne plus « faire confiance en personne ». Nora Sbaï, a longtemps hésité avant de monter sur scène mais elle voulait être entendue. C'est la force des enquêtes sur scène. Vous faire plonger dans d'autres quotidiens grâce aux témoignages.

La vocation de Mediavivant n'est pas de donner le micro. C'est un travail journalistique. Il apporte le contradictoire. L'enquête explore les solutions proposées par les institutions et les associations. Il a aussi fallu du courage au commandant Jean-Christophe Roux, chef du bureau de la prévention de la délinquance à la préfecture de police pour expliquer les dispositifs mis en place pour soutenir les proches des victimes devant une partie de la salle peu acquise.

La criminologue Catherine Ross, elle, pousse à apercevoir une éclaircie. Elle ouvre d'autres voies à explorer par son expertise, que ce soit par la nécessité d'amener plus de justice sociale dans nos sociétés ou, comme détaillé dans notre encadré développer la justice « restaurative ».

Chaque second mercredi du mois, vous pouvez vivre en direct cette expérience de journalisme vivant depuis Marseille. Les représentations seront à chaque fois filmées, enregistrées pour vous faire vivre l'actualité autrement.
L’équipe de Mediavivant
Des familles déchirées par la perte
31 morts par balle depuis le début de l'année dans les Bouches-du-Rhône à l'heure où nous écrivons ces lignes. Autant de familles endeuillées. Elles affrontent le mépris, les récupérations et attendent que justice soit faite.
«Encore un Suédois, un de moins», Laetitia Linon se remémore sur scène les messages qu'elle voyait passer sur les réseaux sociaux à la mort de son neveu Rayanne. Rayanne avait seulement 14 ans quand il a été tué à la cité des Marronniers à Marseille, le 18 août 2021. Atika Saïb, elle, se souvient en détails de la soirée du 18 octobre 2020 quand elle apprend par la presse l’assassinat de sa nièce, 19 ans, dans le quartier de la Belle-de-Mai. Deux tirs sur des points de deal, deux victimes sans casier judiciaire, deux familles à jamais dans le deuil, qui doivent faire face aux regards des autres et attendent des réponses.

Lors de cette enquête sur scène, les deux tantes racontent ce que vivent de nombreuses familles fracassées par les guerres entre les bandes du narcobantisme. Elles redonnent une identité aux disparus, qui ne sont plus de simples prénoms mentionnés dans un article de faits-divers. Ce sont ces doigts accusateurs, cette stigmatisation qu'elles dénoncent. Jusqu'au sommet de l'État, jusqu'au président de la République lui-même, on les désigne non pas comme des victimes, mais bel et bien comme des coupables.

Elles considèrent être oubliées par la justice, l'État. C'est à découvrir lors de la seconde partie « Des institutions impuissantes face à l'isolement »
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Pour aller plus loin :

Marseille, capitale du crime ?
Il y a deux attitudes bien marquées dans la cité portuaire. Des Marseillais campent sur un «c'est pas pire qu'ailleurs» tandis que d'autres décrivent une ville championne toute catégorie des homicides. Quoi qu'il en soit, la presse tient les comptes. Le 17 décembre, un jeune homme de 28 ans tombait sous les balles dans la cité du Castellas, au nord de la ville, dans le 15e arrondissement. C'est le 31e homicide commis en bande organisée depuis le début de l'année dans le seul département des Bouches-du-Rhône. Le record de 2016 a été égalisé.

Un rapport du ministère de l'Intérieur met en avant que les homicides dans des «règlements de compte» se concentrent dans les zones urbaines. 70% de ces crimes sont commis dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants dont 23% à Marseille et 16% en région parisienne. 31 % des «règlements de compte» sont concentrés dans les Bouches-du-Rhône. En revanche, ce département n'arrive pas en tête des homicides en général. La Guyane, la Guadeloupe et la Martinique ont les plus forts taux. Il existe bien une spécificité marseillaise : les assassinats dûs au trafic de drogue.
La Belle-de-Mai, à Marseille, scène atypique du trafic
La guerre entre les bandes du narcobanditisme n'est pas réservée aux périphéries de la ville. Pas ou peu de blocs d'immeubles à la Belle-de-Mai, nous sommes à moins de deux kilomètres du Vieux-Port, à côté de la gare Saint-Charles. Pourtant, cette année, le quartier est le théâtre de luttes entre bandes rivales. De la mi-septembre à la mi-octobre, cinq personnes ont été tuées. Deux points de deal, pourtant les plus rentables de la ville, y sont disputés : le Moulin-de-Mai, ancienne et imposante friche industrielle sur laquelle débouche deux impasses et la résidence le Gyptis, à un pâté de maison de là.

Côté pile, le quartier qui accueillait l'ancienne manufacture des tabacs est rongé par la misère. La majorité des habitants du 3e arrondissement vit sous le seuil de pauvreté. Pour assombrir le tableau, son nom est souvent accolé à un grand nom du banditisme marseillais: Francis Vanverberghe dit «le Belge» (1946-2000). Il y a grandi et était à la tête de la bande «de la Belle-de-Mai». Côté face, c'est un des poumons culturels de la ville. C'est ici qu'est ancré les 45 000 m² de la Friche la Belle de Mai et ses 5 salles de spectacles, ses 450 000 visiteurs par an. En face, le Pôle média fait vivre le cinéma. C'est dans ces studios qu'était tournée la célèbre série «Plus belle la vie».
Des institutions impuissantes face à l’isolement
Le deuil passé, les familles qui ont perdu un proche lors d’un meurtre se retrouvent seules. Les liens sociaux sont rompus. Les réponses de la justice se font attendre et le soutien institutionnel est jugé insuffisant par les proches des victimes.
Nora Sbaï a perdu son fils et puis tout le reste: son emploi, son autre fils, qui a dû fuir, et même son logement. Elle a dû déménager. Face aux menaces, elle ne pouvait rester dans son quartier et vit aujourd’hui dans le petit appartement de sa fille. «On a tout perdu», dit-elle. Nora cherche toujours de l’aide. À la suite du meurtre, elle explique qu’elle ne savait pas à «qui s’adresser», alors que ces deux cadets, des jumeaux, sont traumatisés. Sur scène, Nora avoue qu’elle ne fait plus «confiance en personne».

Elle et sa famille sont mises au ban de la société et s’enfoncent dans la marginalisation. Cette partie 2 de l’enquête sur scène explore les aides qui sont proposées aux proches des victimes sur Marseille. L’ Association d’aide aux victimes d’actes de délinquance (AVAD) apporte un soutien personnalisé. Il peut être juridique, psychologique. Parmi ses outils: le Dispositif d'intervention et de soutien aux personnes affectées par des actions violentes (DISPAV).

Les familles attendent aussi des réponses de la justice. Les affaires de narcobanditisme peuvent prendre plusieurs années avant d’être élucidées. Seule la moitié l’ont été ces dix dernières années dans les Bouches-du-Rhône selon la police judiciaire. Un chiffre pourtant supérieur à la moyenne nationale (35%). Or les proches des victimes peuvent croiser, côtoyer celui ou celle qu’elles présument être le coupable. Elles jugent ces aides insuffisantes. D’autres voies sont à explorer. C’est à découvrir dans la prochaine partie, le 4 janvier: «La recherche de la justice sociale.
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Pour aller plus loin :

L’AVAD, pilier du soutien aux proches de victimes
L’association, Loi 1901, créée en 1983, est un acteur incontournable de l’aide apportée aux proches des victimes d’homicides à Marseille. Forte de 20 emplois temps plein, elle a sous sa responsabilité deux dispositifs: le Service d’aide aux victimes d’urgence (Savu), qui s’adresse directement aux victimes directement concernées par l'événement et le Dispositif d’intervention et de soutien aux personnes affectées par des actions judiciaires (Dispav) qui s’adresse lui à un public plus large. L’aide apportée dépend de chaque bénéficiaire. Outre le soutien psychologique, un accompagnement social, une aide juridique sont apportés selon les besoins et une permanence téléphonique est mise à disposition, au 04 96 11 68 80.

Les proches des personnes tuées interrogées jugent pourtant que c’est insuffisant. Atika Saïb dénonce par exemple que les cousins de la victime n’ont pas eu accès à l’Avad. Pour ceux qui y accèdent, l'Avad suscite parfois la méfiance car la préfecture de police est à la fois le financeur et le responsable du déploiement des deux dispositifs. Sur scène le commandant Jean-Christophe Roux rappelle cependant que l'association travaille en-dehors de toute procédure judiciaire.
Une justice à bout de souffle
Entre le crime, l’enquête et son jugement, plusieurs années se sont écoulées. Cette durée s’explique en partie, seulement, par le manque de moyens mis à disposition de la justice. Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a annoncé une hausse du budget de 8% pour 2023 fin septembre. Par ailleurs, 1500 postes de magistrats et 1500 postes de greffiers devraient être créés sur l’ensemble du quinquennat. Pas de quoi satisfaire les syndicats.

La Commission européenne pour l’efficacité de la Justice (CEPEJ) met en avant que la France a un des effectifs les plus bas d’Europe. Son rapport sur les systèmes judiciaires européens réalisés en 2022, montre que le nombre de juges, avocats ou procureurs est systématiquement en-dessous de la médiane des pays membres du Conseil de l’Europe. Le montant moyen des crédits alloués à la justice s’établit à 72,53 euros en France contre 82,15 euros en Italie.

Le rapport du comité des Etats généraux de la justice (avril 2022) notait que « la justice [française] n’a plus les moyens de remplir son rôle », suscitant « l’incompréhension des justiciables, le découragement des professionnels de justice et [entraînant] des tensions avec les avocats.»
La recherche de justice sociale
Ni les procès, ni les soutiens venant de certaines associations ne soulagent la peine des proches de victimes d'assassinats. Dans cette partie, des pistes de solutions sont esquissées. Elles apparaissent comme une évidence: plus de social, plus de dialogue.
Dans le meilleur des cas, il a fallu attendre des années pour que les parents des victimes assistent à la condamnation de celui ou celle qui leur a enlevé leur proche. Et pourtant l’errance se poursuit. « On en demande trop à la justice », affirme la criminologue Catherine Rossi qui travaille notamment sur la justice «restaurative» (ou «réparatrice»). Quel que soit l’issue du procès, condamnation ou acquittement, elle met les proches dans l’embarras.

Une solution est avancée comme une évidence par la spécialiste: le besoin de justice sociale. Ce sont dans les quartiers populaires, marginalisés qu’ont été tués Rayanne, Sarah et le fils de Nora que nous avons entendue dans la première partie. Les familles endeuillées n’ont pas toujours les outils pour toquer à la bonne porte et se retrouver dans le dédale administratif et judiciaire. Comme le rappelle Karima Meziene, avocate au barreau de Marseille, se constituer parties civiles est aussi un coût malgré les avocats commis d’office.

Les solutions viennent aussi des proches des victimes elles-mêmes. Le collectif «famille» de l’association Alehan s’emploie à construire un projet de loi pour élargir le droit à l’information. Ce collectif souhaite, par exemple, qu’un représentant des familles soit reçu par un magistrat instructeur une à deux fois par an.

Ces associations alertent les autorités, font pression pour que les dossiers avancent en justice et surtout permettent aux proches de se retrouver entre eux, sans craintes de jugements. Elles échappent pour quelques instants aux doigts accusateurs.
L’équipe de Mediavivant

Pour aller plus loin :

Ouvrir le dialogue par la justice «restaurative» (ou «réparatrice»)
La réconciliation plutôt que la punition. La justice «restaurative» promeut le dialogue entre auteurs et victimes d’infractions. Peu connu en France, ce processus est plus répandu au Canada ou en Grande-Bretagne. Il apparaît pourtant dans la loi du 15 août 2014. Il est possible de faire appel à la justice restaurative « à l'occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure ». Chaque participant doit être volontaire (si les faits sont reconnus) et peut s'arrêter à tout moment. Il nécessite un travail individuel de préparation.

«Les personnes victimes ont le sentiment d’être écoutées et comprises. Elles évoquent à la fois le partage avec d’autres victimes qui leur permet de se sentir unies autour d’un même traumatisme», note l’enquête 2021 de l’Institut français pour la justice restaurative. Il a été question de justice restaurative lors du procès des attentats du 13 Novembre. Claude-Emmanuel Triomphe, touché par une rafale de kalachnikov déclarait ainsi à l’audience, face à Salah Abdeslam selon les propos reportés par France Info: «Votre condamnation, ça ne me réparera pas et ça ne m'apaisera pas, mais ça ne m'empêchera pas non plus, si vous le désirez un jour, y compris en prison, d'aller vous parler.
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