En 2020, les missions de service public de La Poste enregistrent des pertes de 1,6 milliard d’euros. Pas question de puiser dans les branches bénéficiaires. C’est à l’État de compenser les pertes selon l’entreprise.
Selon
le rapport d’information du sénat daté de mars 2021 La Poste menace «
de devoir “réduire”
le service public», s’il n’y a pas de compensations de l’État. Cela signifierait une accélération des réductions d’emplois et de la fermeture des bureaux de poste, «
une optimisation» des tournées des facteurs avec un moindre passage à chaque boîte aux lettres.
Ce scénario est déjà en train de s’écrire. Dans
le 12e arrondissement de Marseille, le facteur ne passera plus quotidiennement à partir de mars. Le sociologue Nicolas Jounin a infiltré durant 5 mois l’entreprise (
«Le caché de La Poste, enquête sur l’organisation du travail des facteurs», La Découverte, 2021). Il raconte les réorganisations des tournées environ tous les deux ans. «
La Poste va mettre en place un logiciel. On va entrer un certain nombre de volumes de courriers (...)
, une estimation du trafic (...)
, des distances (...).
On va mouliner tout ça et ça va donner la durée théorique de la tournée », explique t-il. L'algorithme rend son verdict. La tournée de Nicolas Jounin, qui lui prenait sept à huit heures, pourrait théoriquement être ramenée à 4 heures 23 minutes et 52 secondes. L’objectif? Réduire le nombre de tournées et, in fine, réduire le nombre d’emplois.
L'entreprise comptait 323 000 agents en 2002. Il n’y a plus que 245 000 «collaborateurs» en 2021 et parmi eux, plus de deux fois moins de fonctionnaires. Pourtant, selon la communication de La Poste Paca, l'entreprise «
fait tout depuis une décennie pour préserver l'emploi des facteurs dans un contexte de baisse des volumes du courrier inédite.»
Le sociologue Nicolas Jounin, n’est pas de cet avis. Il décrypte: «
Dès lors qu’il y a un départ en retraite, une mutation ou autre, La Poste ne remplace pas par des salariés en CDI mais par des salariés en CDD, des intérimaires (...)». Ce sont les contrats de ces précaires qui ne sont pas renouvelés lors des réorganisations des tournées. «
C’est comme ça que La Poste se vante d’avoir supprimé 35000 emplois de facteurs sans avoir à recourir à un plan de sauvegarde de l’emploi». Ce sont encore ces intérimaires qui travaillent sous pression constante.
Louis raconte être confronté à des tournées qu’il ne connaît pas, à l’impossibilité de donner son avis. «
À la fin de chaque semaine, je prie pour recevoir mon contrat par mail » dit-il. Sur scène, le secrétaire départemental, SUD-PTT, Yann Quay-Bizet s’oppose à cette course à la rentabilité: «
Ces services publics n’ont pas vocation à être rentables mais à être équitables.»
C’est bien la question des missions et de la survie des services publics qui est posée par la transformation de La Poste.
C’est à découvrir lors de la publication de la troisième partie, le 1er mars: «Les services publics îlots de résistance à la privatisation». Quand La Poste chronomètre les tournées
Avant l’utilisation d’algorithmes pour calculer le temps nécessaire à la réalisation d’une tournée, La Poste faisait appel à des vérificateurs,
des employés chargés de chronométrer les trajets du facteur afin d’optimiser son temps de travail. Cela donnait lieu à des conflits entre ces vérificateurs et les facteurs. Ces derniers accusant les premiers d’être à botte de la direction. Mais aussi entre les vérificateurs et la direction, cette dernière les accusant d’être trop complaisants avec leurs collègues.
Malgré ces conflits, cette méthode empirique avait pour avantage de porter une attention particulière aux réalités des tournées chronométrées et de les prendre en compte dans le calcul du temps nécessaire pour les effectuer. Une tournée en ville n’a pas les mêmes contraintes qu’une tournée à la campagne et vice versa. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que La Poste choisira de se passer de ces chronométreurs, privilégiant un outil de prescription du temps des tournées
entièrement automatisé.
La fin du timbre rouge et l’illectronisme
Pour réaliser des économies, la décision de supprimer le timbre rouge, et donc l’envoi de courrier pour le lendemain, a été prise durant l’été 2022. Le député Les Républicains des Côtes-d'Armor Marc Le Fur a réagi à cette annonce par cette formule : «
C’est Marianne qu’on assassine ». Une déclaration grandiloquente qui soulève cependant de nombreuses questions. Aux premiers rangs desquelles : l’illectronisme – c’est-à-dire la difficulté, voire l’incapacité, à utiliser les appareils numériques et les outils informatiques qui concernerait
17% de la population française selon l’INSEE – et l’isolement.
Dans un département rural comme les Côtes-d’Armor, les bureaux de poste sont loin du domicile et l’illectronisme est plus présent que dans les grandes villes. Problème : le timbre rouge est désormais remplacé par le
e-courrier. Un mail que l’on envoie à La Poste, qui se charge ensuite de l’imprimer et de le distribuer le lendemain. Et pour ceux qui ne savent pas envoyer un mail, il faut se déplacer au bureau de poste avec sa lettre manuscrite pour que des agents se chargent de sa numérisation et de son envoi. La disparition du timbre rouge met donc en péril l’accès au service postal universel garanti par la loi.