«N’habite plus à cette adresse»
La disparition de La Poste
Une enquête sur scène présentée par Annabelle Perrin
Integrale
Partie 1
Partie 2
Partie 3
disponible le 6 décembre
Partie 3 disponible le 6 décembrele 6 décembre(disponible le 6 décembre)
La chasse aux coûts est ouverte. L'image du facteur qui prend le temps de discuter sur le pas de la porte est révolue. Les tournées sont chronométrées, l'entreprise a recours massivement à la sous-traitance et des emplois sont supprimés chaque année. Une enquête sur scène d'Annabelle Perrin.
Qui peut mieux vous raconter l'évolution de La Poste que la rédactrice en cheffe d’un média épistolaire, La Disparition avec ses récits qui arrivent dans votre boîte aux lettres? Annabelle Perrin a de quoi se poser des questions. Sur les 18700 plis envoyés durant une année, 452 lui sont revenus. Les réorganisations constantes du service postal ont des conséquences directes sur les usagers.

Le facteur n’a plus le temps. Ses courses sont chronométrées par un logiciel. 4 heures 23 minutes et 59 secondes, c’est la durée nécessaire selon les calculs de l’entreprise, pour la tournée du sociologue Nicolas Jounin qui a infiltré La Poste durant 5 mois. Lui y consacrait 7-8 heures et la menait déjà à un rythme soutenu. Le trajet est allongé. « La parole de l’ordinateur supplante, remplace, s’impose à l’expérience ordinaire des facteurs.»

C’est ainsi que La Poste affronte le temps des mails et la baisse du courrier distribué. Il faut gagner en productivité. La Poste « joue le jeu de la concurrence et de la rentabilité. Elle pressurise les agents et dégrade les services rendus aux usagers » assure Prune Helfter-Noah porte-parole du collectif Nos services publics.

La Poste envisage une accélération des réductions d’emplois et de la fermeture des bureaux de poste, «une optimisation» des tournées des facteurs comme le note le rapport d’information du sénat (mars 2021). Pourtant le groupe, loin de se concentrer sur la branche postale et multipliant les filiales, a réalisé un bénéfice net de 2,1 milliards d’euros.

Les employés, syndicalistes interrogés sur scène témoignent tous de cette pression accrue. «À chaque fois, c’est un peu plus dur (...) ma tournée est non seulement plus longue alors que la quantité de courrier reste la même», explique le facteur Laurent Chabrier (SUD). Ils racontent la perte de sens et pas seulement au service postal. «Le client qui rentre dans le bureau doit sortir avec un produit vendu». Magali Tardieu (CGT) qui travaille pour La Banque Postale regrette que le terme «client» ait remplacé celui d’usagers dans les éléments de langage de l’entreprise. «Ces services publics n’ont pas vocation à être rentables mais à être équitables» défend pour sa part le secrétaire départemental, SUD-PTT, Yann Quay-Bizet.

Cette enquête sur scène nous fait découvrir un service public à l’agonie comme il l’est dans d’autres secteurs.

Chaque second mercredi du mois, vous pouvez vivre en direct cette expérience de journalisme vivant depuis Marseille. Les représentations seront à chaque fois filmées pour vous faire vivre l'actualité autrement.
L’équipe de Mediavivant

Pour aller plus loin :

La Poste avant La Poste
En 1476, Louis XI crée la poste aux chevaux, une innovation que l’on doit aux Chinois et qui date de l’Antiquité. Ces relais de poste permettaient au roi d’être informé rapidement des opérations militaires en cours. Il faudra attendre le XVIIe siècle pour que la France se dote d’une véritable administration postale. À cette époque, le port de la lettre devait être acquitté par le destinataire. À partir d’août 1790, les employés des Postes doivent prêter serment de respecter le secret des correspondances. En 1829, on crée les lettres recommandées. D’abord cantonnées à Paris, elles seront étendues à toute la France à partir de 1844. Le 1er avril 1830, la loi Sapey impose un service de distribution et l’implantation de boîtes aux lettres dans les campagnes afin de lutter contre l’isolement des populations rurales. Il faudra attendre 1849, pour que les premiers timbres-poste apparaissent, affranchis désormais par l’envoyeur. Le prix du port de lettres baisse et devient uniforme sur l’ensemble du territoire français. La Poste devient véritablement accessible à toutes et tous. En 1879, l’administration des postes et celle du télégraphe fusionnent pour devenir Les Postes, télégraphes et téléphones (PTT). Un ministère des PTT sera même spécifiquement créé.
L’agonie du service public met sous pression les salariés
Le groupe La Poste est bénéficiaire et pourtant la branche postale est sous constante tension. Au centre de tri les employés travaillent au rythme des machines, les facteurs voient leurs tournées s’allonger tous les deux ans. Les usagers font les frais de ces constantes réorganisations.
Ils essaiment dans toutes les communes de France depuis le XIXe siècle et «dans le vécu des gens, le facteur c’est le service public universel», souligne l’historienne Claire Lemercier. L’image du facteur à la Jacques Tati a pourtant vécu. Désormais La Poste est un groupe aux multiples filiales: Ma French Bank, Mediapost, Pickup, Stuart, ViaPost, des noms aux consonances anglo-saxonnes, «qui résonnent à notre oreille comme le vocabulaire de la start-up nation», souligne la journaliste Annabelle Perrin. Dans cette Poste du XXIe siècle, le facteur semble être un anachronisme.

Environ tous les deux ans, les tournées sont modifiées. «À chaque fois, c’est un peu plus dur (...) ma tournée est non seulement plus longue alors que la quantité de courrier reste la même», témoigne sur scène le facteur Laurent Chabrier (SUD). Il se souvient encore à quelle heure il devait terminer sa précédente tournée: 13h42 exactement, «ce qui n’arrivait pas.» Pour tenir ce temps, des risques sont pris. «La plupart des accidents du travail (...) sont liés à cette volonté d’aller vite», assure t-il.

Les employés au centre de tri n’échappent pas à ces pressions supplémentaires. «On doit suivre le rythme de la machine» à des cadences toujours plus soutenues selon l’employée Stella Estaque (CGT).

À l’heure des mails, ces constantes réorganisations s'expliquent par la baisse de l’utilisation du service postal. D’après un rapport de la cour des comptes publié en 2020, 18 milliards de courriers étaient encore distribués en 2008, deux fois moins qu'en 2018. En 2021, Le groupe La Poste a pourtant réalisé un bénéfice net de 2,1 milliards d’euros. Mais dans cette Poste «start-up nation» l’objectif n’est pas de défendre cette branche symbole du service public.

Les usagers font les frais de ces transformations. Vous trouverez encore, et peut-être plus souvent, un avis de passage alors que vous étiez à votre domicile dans l’attente d’un recommandé. Le facteur poursuit sa course contre la montre.

La Poste cherche à dépenser toujours moins. C’est ce que nous découvrirons le 21 février dans la seconde partie: «À la recherche perpétuelle d'économies».
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Pour aller plus loin :

La Poste avant La Poste
En 1476, Louis XI crée la poste aux chevaux, une innovation que l’on doit aux Chinois et qui date de l’Antiquité. Ces relais de poste permettaient au roi d’être informé rapidement des opérations militaires en cours. Il faudra attendre le XVIIe siècle pour que la France se dote d’une véritable administration postale. À cette époque, le port de la lettre devait être acquitté par le destinataire. À partir d’août 1790, les employés des Postes doivent prêter serment de respecter le secret des correspondances. En 1829, on crée les lettres recommandées. D’abord cantonnées à Paris, elles seront étendues à toute la France à partir de 1844. Le 1er avril 1830, la loi Sapey impose un service de distribution et l’implantation de boîtes aux lettres dans les campagnes afin de lutter contre l’isolement des populations rurales. Il faudra attendre 1849, pour que les premiers timbres-poste apparaissent, affranchis désormais par l’envoyeur. Le prix du port de lettres baisse et devient uniforme sur l’ensemble du territoire français. La Poste devient véritablement accessible à toutes et tous. En 1879, l’administration des postes et celle du télégraphe fusionnent pour devenir Les Postes, télégraphes et téléphones (PTT). Un ministère des PTT sera même spécifiquement créé.
Les services publics îlots de résistance à la privatisation
Ne dites plus «usagers» mais «clients». La Poste poursuit sa mue libérale. Comme d’autres grandes entreprises publiques, les activités d’intérêt général se dégradent. Une logique pourtant à «rebours» selon les défenseurs des services publics.
«On se transforme. On était des conseillers financiers, (aujourd’hui) on est des vendeurs» explique Magali Tardieu (CGT) qui travaille pour La Banque Postale. Sur scène, elle raconte les objectifs à atteindre. Elle est suivie «à la culotte», à la vente. Le conseil passe au second plan. «Le client qui rentre dans le bureau doit sortir avec un produit vendu», dit-elle tout en butant sur ce terme «client», «nous on continue à vouloir les appeler les usagers».

Comme pour les facteurs, les emplois dans les bureaux de poste après des départs à la retraite ne sont pas remplacés par des titulaires. Ce sont les intérimaires qui prennent le relais. Et le même mot revient à plusieurs reprises pour décrire une mise à disposition d’un service public de qualité. C’est «compliqué».

Face à cette logique, certains acteurs proposent un autre choix de société. Prune Helfter-Noah, porte-parole du collectif Nos services publics défend une autre voie. «On est dans une société qui évolue avec de nouveaux besoins et donc le champ des services publics devrait s’étendre avec une service public de l’alimentation, (...) du logement, (...) de l’écologie. Le but du service public est de mettre chacune et chacun à égalité», défend-elle. La Poste est un exemple parmi d’autres. Des hôpitaux à la SNCF, l’objectif est le même «faire marché de tout», comme le souligne la journaliste Annabelle Perrin.

Le 8 mars, l’intégralité de l’enquête est à retrouver sur notre site en vidéo
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Pour aller plus loin :

Une organisation pour défendre une vision collective du bien commun
Le collectif Nos services publics regroupe des agents publics, qu’ils soient fonctionnaires ou contractuels, souhaitant « redonner au service public toute la place, la signification et l’impact » qu’il devrait avoir. Il dénonce le manque de moyens, les managements violents et l’absence de vision à long terme allant à l’encontre de l’intérêt général. L’objectif du collectif est de proposer une vision alternative des services publics, loin de l’injonction à la rentabilité, à la réduction des effectifs et à l’externalisation au privé des missions de service public.

Ses membres s’appuient sur leurs propres expériences pour proposer des pistes d’orientation des politiques publiques et de leur finalité. À la fois premiers acteurs de l’intérieur et premiers témoins d’une privatisation à marche forcée des services publics, ils entendent agir, en complémentarité des syndicats et des autres collectifs d’agents existants, comme des organisations de la société civile, pour faire émerger une autre vision collective du bien commun.
À la recherche perpétuelle d'économies
C’est une chasse aux coûts, quitte à faire une croix sur la richesse d’un service public. Réduction des emplois, recherche de l’efficience, fermeture de bureaux de Poste… L’entreprise recherche la rentabilité.
En 2020, les missions de service public de La Poste enregistrent des pertes de 1,6 milliard d’euros. Pas question de puiser dans les branches bénéficiaires. C’est à l’État de compenser les pertes selon l’entreprise.

Selon le rapport d’information du sénat daté de mars 2021 La Poste menace «de devoir “réduire” le service public», s’il n’y a pas de compensations de l’État. Cela signifierait une accélération des réductions d’emplois et de la fermeture des bureaux de poste, «une optimisation» des tournées des facteurs avec un moindre passage à chaque boîte aux lettres.

Ce scénario est déjà en train de s’écrire. Dans le 12e arrondissement de Marseille, le facteur ne passera plus quotidiennement à partir de mars. Le sociologue Nicolas Jounin a infiltré durant 5 mois l’entreprise  («Le caché de La Poste, enquête sur l’organisation du travail des facteurs», La Découverte, 2021). Il raconte les réorganisations des tournées environ tous les deux ans. «La Poste va mettre en place un logiciel. On va entrer un certain nombre de volumes de courriers (...), une estimation du trafic (...), des distances (...). On va mouliner tout ça et ça va donner la durée théorique de la tournée », explique t-il. L'algorithme rend son verdict. La tournée de Nicolas Jounin, qui lui prenait sept à huit heures, pourrait théoriquement être ramenée à 4 heures 23 minutes et 52 secondes. L’objectif? Réduire le nombre de tournées et, in fine, réduire le nombre d’emplois.

L'entreprise comptait 323 000 agents en 2002. Il n’y a plus que 245 000 «collaborateurs» en 2021 et parmi eux, plus de deux fois moins de fonctionnaires. Pourtant, selon la communication de La Poste Paca, l'entreprise «fait tout depuis une décennie pour préserver l'emploi des facteurs dans un contexte de baisse des volumes du courrier inédite

Le sociologue Nicolas Jounin, n’est pas de cet avis. Il décrypte:  «Dès lors qu’il y a un départ en retraite, une mutation ou autre, La Poste ne remplace pas par des salariés en CDI mais par des salariés en CDD, des intérimaires (...)». Ce sont les contrats de ces précaires qui ne sont pas renouvelés lors des réorganisations des tournées. «C’est comme ça que La Poste se vante d’avoir supprimé 35000 emplois de facteurs sans avoir à recourir à un plan de sauvegarde de l’emploi». Ce sont encore ces intérimaires qui travaillent sous pression constante.

Louis raconte être confronté à des tournées qu’il ne connaît pas, à l’impossibilité de donner son avis. «À la fin de chaque semaine, je prie pour recevoir mon contrat par mail » dit-il. Sur scène, le secrétaire départemental, SUD-PTT, Yann Quay-Bizet s’oppose à cette course à la rentabilité: «Ces services publics n’ont pas vocation à être rentables mais à être équitables

C’est bien la question des missions et de la survie des services publics qui est posée par la transformation de La Poste. C’est à découvrir lors de la publication de la troisième partie, le 1er mars: «Les services publics îlots de résistance à la privatisation».
L’équipe de Mediavivant

Pour aller plus loin :

Quand La Poste chronomètre les tournées
Avant l’utilisation d’algorithmes pour calculer le temps nécessaire à la réalisation d’une tournée, La Poste faisait appel à des vérificateurs, des employés chargés de chronométrer les trajets du facteur afin d’optimiser son temps de travail. Cela donnait lieu à des conflits entre ces vérificateurs et les facteurs. Ces derniers accusant les premiers d’être à botte de la direction. Mais aussi entre les vérificateurs et la direction, cette dernière les accusant d’être trop complaisants avec leurs collègues.

Malgré ces conflits, cette méthode empirique avait pour avantage de porter une attention particulière aux réalités des tournées chronométrées et de les prendre en compte dans le calcul du temps nécessaire pour les effectuer. Une tournée en ville n’a pas les mêmes contraintes qu’une tournée à la campagne et vice versa. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que La Poste choisira de se passer de ces chronométreurs, privilégiant un outil de prescription du temps des tournées entièrement automatisé.
La fin du timbre rouge et l’illectronisme
Pour réaliser des économies, la décision de supprimer le timbre rouge, et donc l’envoi de courrier pour le lendemain, a été prise durant l’été 2022. Le député Les Républicains des Côtes-d'Armor Marc Le Fur a réagi à cette annonce par cette formule : « C’est Marianne qu’on assassine ». Une déclaration grandiloquente qui soulève cependant de nombreuses questions. Aux premiers rangs desquelles : l’illectronisme – c’est-à-dire la difficulté, voire l’incapacité, à utiliser les appareils numériques et les outils informatiques qui concernerait 17% de la population française selon l’INSEE – et l’isolement.

Dans un département rural comme les Côtes-d’Armor, les bureaux de poste sont loin du domicile et l’illectronisme est plus présent que dans les grandes villes. Problème : le timbre rouge est désormais remplacé par le e-courrier. Un mail que l’on envoie à La Poste, qui se charge ensuite de l’imprimer et de le distribuer le lendemain. Et pour ceux qui ne savent pas envoyer un mail, il faut se déplacer au bureau de poste avec sa lettre manuscrite pour que des agents se chargent de sa numérisation et de son envoi. La disparition du timbre rouge met donc en péril l’accès au service postal universel garanti par la loi.
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