GOLFE DE FOS
Les habitants se révoltent contre la pollution
Une enquête sur scène présentée par Feriel Alouti
Intégrale
Partie 1
Partie 2
Partie 3disponible le 6 décembre
Partie 3 disponible le 6 décembrele 6 décembre(disponible le 6 décembre)
Non loin de Marseille, une des plus grandes zones industrielles d'Europe affecte le quotidien de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Un bras de fer judiciaire inégal est engagé. Une enquête sur scène de Feriel Alouti.
Les enquêtes s'amoncellent, les articles dans la presse se multiplient et, pourtant, encore aujourd'hui, la pollution dans le golfe de Fos est mise en doute. Malgré la prévalence des maladies, la médecine ne peut avec certitude faire le lien avec la pollution. Les entreprises émettrices de polluants entretiennent le flou. Les témoignages recueillis par la journaliste Feriel Alouti viennent pourtant les accabler.

Cette enquête sur scène raconte le quotidien des époux Huriaux ou de Linda Grassi qui se réveillent avec la poussière sur leurs balcons, font face aux crises d'asthme, aux cancers, à la mort omniprésente dans les conversations.

Les habitants s'organisent au sein d'associations pour se faire entendre. Ils recherchent la preuve irréfutable qui mettra enfin les entreprises et l'État devant leurs responsabilités. Mais comme le dit la socio-anthropologue Johanna Lees, «le risque à demander des études et des études, c’est que l’on va toujours attendre la preuve de la preuve (...) À un moment donné les études ça suffit, il y a des politiques publiques à mettre en œuvre.»

Le bras de fer est désormais judiciaire. Deux-cent cinquante parties civiles, sept associations et un syndicat ont déposé plainte contre X pour «mise en danger délibérée de la vie d’autrui». La justice comme dernier recours, pour qu'il n'y ait plus jamais de « mais » quand les conséquences de la pollution dans le Golfe de Fos sont évoquées.

Chaque second mercredi du mois, vous pouvez vivre en direct cette expérience de journalisme vivant depuis Marseille. Les représentations seront à chaque fois filmées pour vous faire vivre l'actualité autrement.
L’équipe de Mediavivant
La population condamnée «à subir»
Ils sont les prisonniers des usines qui les empoisonnent. Tout autour du Golfe de Fos, les habitants ont appris à vivre aux côtés de la pollution, au prix de leur santé. Et pourtant, partir n'est pas une option.
Des serviettes étalées sur le sable, des parasols multicolores et en arrière-plan : des cheminées. Comme le rappelle Feriel Alouti, cette image symbolise le Golfe de Fos et son paradoxe. Il ferait bon vivre dans ce coin de la France, en bord de mer si les usines ne contaminaient pas l'air. Même à quelques centaines de mètres, les pieds dans l'eau, il est facile, un instant, d'oublier les terribles conséquences.

Les habitants eux, n'oublient pas. À Port-de-Bouc, depuis leur terrasse, les époux Huriaux observent quotidiennement ces flammes et cette fumée épaisse qui s'échappent des cheminées. «Naître près des usines c'est savoir (que) tous les premiers mercredis du mois il y a une alarme qui sonne, (qu'il faut) se préparer à évacuer si il y a une urgence», raconte sur scène Linda Grassi, habitante de Fos-sur-Mer.

Et puis il y a les conséquences sur la santé. Les gamins asthmatiques, les cas de cancer: si la médecine ne peut avec certitude attribuer ces maladies à la pollution, l'enquête décrit la mort qui plane comme une menace bien réelle au-dessus de tous. Jacquie Huriaux n'a pu se déplacer pour assister à la représentation à cause de fortes crises d'asthme. Linda Grassi a eu, jeune, un cancer dont l'origine n'est pas génétique.

Et pourtant, pour beaucoup d'habitants, déménager n'est pas ou plus une option. Le Golfe de Fos fournit des emplois. A cause de la proximité des usines,  les époux Huriaux ne peuvent vendre leur maison à un prix suffisant pour s'installer ailleurs. Ils sont prisonniers.

Face à cette situation, certains habitants cherchent à mettre l'État et les entreprises face à leurs responsabilités que ce soit en s'investissant dans des associations et/ou en ayant recours à la justice. C'est à découvrir lors de la seconde partie «Les bras de fer engagés».
L’équipe de Mediavivant

Pour aller plus loin :

Un territoire dépendant des usines
La zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer a été créée en 1964 par l'État pour implanter des usines de pétrochimie, de sidérurgie et de métallurgie sur 10.000 hectares bordant le golfe de Fos. Cette zone compte aujourd'hui environ 200 usines qui produisent 11 % de la richesse du département. Plus de 40.000 personnes y travaillent. L'activité industrialo-portuaire est particulièrement présente à Fos-sur-Mer, Port-Saint-Louis-du-Rhône, Saint-Martin-de-Crau et Berre l'Etang où elle représentait, en 2013, au moins 40 % des emplois, selon l'Insee. À Fos-sur-Mer, cette activité occupait même huit emplois sur dix et sept sur dix à Port-Saint-Louis-du-Rhône.

Les établissements sont plutôt de grande taille - en moyenne 27 salariés. Trois emplois sur quatre concernent des multinationales et trois emplois sur dix des entreprises étrangères. Le profil des salariés de cette zone s'apparente à celui des salariés de l'industrie : une majorité d'hommes occupant des postes d'ouvriers. Mais les rémunérations sont plus élevées qu'ailleurs. Ainsi, en 2013, le salaire net médian était supérieur de 3 euros de l’heure dans cette zone par rapport à l'ensemble du département.
Les bras de fer engagés
La pollution ressentie par les habitants est confirmée par des études scientifiques, qui s’accordent sur sa nocivité pour la santé humaine. Une bataille judiciaire, pour réparer les blessures du passé mais aussi préparer l’avenir, a débuté.
À partir de 2017, après le choc du rapport Fos-Epseal, d’autres études scientifiques viennent confirmer l’impact de la pollution industrielle sur l’état de santé des habitants du golfe de Fos.

Elles mettent à jour le rôle cancérigène, voire reprotoxiques (qui nuisent au système reproducteur) de certaines molécules émises. La pollution, qui imprègne jusqu’au sang les habitants, contamine aussi ce qu’ils mangent.

La mauvaise qualité de l’air devient une certitude: « il y a eu une prise de conscience de tout le monde », remarque Daniel Moutet, qui lutte depuis vingt ans contre ces pollutions, à la tête de l’Association de Défense et de Protection du Littoral du Golfe de Fos.

Mais l’État peine encore à prendre la mesure du phénomène, souligne le militant, qui raconte avoir révélé que l’entreprise Arcelor Mittal, en déversant à même le sol des «poches d’acier», provoquait d’énormes panaches de poussière, à la Dreal (direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement), s’indignant: «eux n’étaient même pas au courant!».

Cette usine, pointée par des rapports gouvernementaux comme le «principal émetteur polluant dans la zone selon les autorités», continue de bénéficier de dérogations malgré ses manquements à la réglementation, punis par des mises en demeure administratives guère dissuasives.

Aujourd’hui, Arcelor comme Kem One ou encore Esso sont la cible de procédures judiciaires engagées par les habitants, qui ont décidé de ne plus subir. L’avocate Julie Andreu accompagne 250 parties civiles, 7 associations et un syndicat dans cette démarche, après une plainte contre X pour «mise en danger délibérée de la vie d’autrui» dont s’est saisie une juge d’instruction spécialisée à Marseille. De quoi faire pression pour obtenir plus d’informations sur les rejets des entreprises à découvrir lors de notre troisième partie: «La quête de transparence.»
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Pour aller plus loin :

Vingt ans de combat associatif
L’Association de défense et de protection du littoral du golfe de Fos (ADPLGF) a été créée en 2002 par Daniel Moutet. Elle rassemble aujourd’hui 250 membres mobilisés par la défense environnementale de leur territoire. Tout commence, il y a vingt ans, lorsque DFG annonce son intention d’implanter un terminal méthanier sur la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer. L’association dépose un recours contre l’autorisation d’exploitation qui aurait pour conséquences de raser la moitié de plage du Cavaou. La justice met six ans à l’étudier. Entre-temps, GDF a forcément achevé la construction du terminal tout en ayant pris soin de revoir son projet. Petit lot de consolation pour l’association soulagée de constater que la direction a finalement décidé de doubler les fondations du terrain, le projet étant situé sur une faille sismique et de diminuer les cuves de moitié.

En 2003, les Fosséens apprennent, cette fois-ci, que la ville a été choisie pour installer un incinérateur destiné à brûler les déchets de l’agglomération marseillaise. Là aussi, l’association décide de porter l’affaire en justice mais elle perd son recours. Depuis, ADPLGF poursuit ses actions auprès des riverains surtout sur la question des impacts de la pollution atmosphérique en termes de nuisances et de santé publique.
Vingt ans de combat associatif
Entre 2016 et 2021, le Bureau d’analyse des risques et pollutions industrielles a recensé près de 600 incidents d’exploitation dans les Bouches-du-Rhône. Plus de la moitié concerne la zone de Fos.

ArcelorMittal multiplie notamment les incidents majeurs d’exploitation : cinq en 2021 et au moins deux en 2022. À chaque fois ou presque, le scénario est le même. Pour éviter tout risque d’explosion après une panne d’électricité, l’usine met en chandelle les gaz de la cokerie, l’une des installations les plus polluantes de l’usine, ce qui libère des dizaines de milliers de tonnes de gaz toxiques dans l’atmosphère.

Pour régler le problème, la direction s’est enfin décidée à investir 1,5 millions d’euros pour équiper les 126 fours de sa cokerie d’un système de torchage automatique qui doit permettre de brûler les gaz et de réduire ainsi ses émissions atmosphériques.
La quête de transparence
Est-ce que l’on nous cache la vérité? C’est la question légitime que se posent certains habitants du golfe de Fos. Des associations réclament de nouvelles études mais selon la socio-anthropologue Johanna Lees, le temps est venu d’agir.
Les habitants du golfe de Fos ont besoin de réponses concrètes à leurs craintes concernant les rejets des industries sur leur santé, être informés des incidents. Ce n’est pas encore le cas.

En avril 2022, le site d’actualité Maritima fait état d’une fuite d’hydrocarbures sur la plateforme pétrochimique de Lavéra où est installée l’usine Naphtachimie, spécialisée dans la pétrochimie. Les pêcheurs se plaignent d’une boue nauséabonde. «Il a fallu attendre le mois de juillet pour que la préfecture prenne un arrêté interdisant la baignade et la pêche dans la zone (...). Pendant près de trois mois les autorités n’ont rien fait» résume sur scène la journaliste Feriel Alouti. Comme le révèle le site d’enquête Marsactu en novembre, une enquête du parquet de Marseille a été ouverte pour pollution marine.

La socio-anthropologue Johanna Lees, coordinatrice de l’étude Fos Epseal qui démontre, notamment, la surreprésentation de cas de cancer dans le golfe de Fos revient sur scène sur les tentatives de décrédibilisation des recherches effectuées.

Dans ce contexte, difficile de renouer la confiance. Le dispositif Réponses, financé par l’État, les industriels et les collectivités, a pour objectif «d’apporter des réponses et des solutions concrètes aux attentes des populations» et recueille leurs inquiétudes. «Un exercice de transparence», analyse Feriel Alouti «mais qui semble en totale contradiction avec ce qu’il se passe sur le terrain».

Les associations d’habitants cherchent la preuve irréfutable. Ils demandent une vaste étude épidémiologique, ou un registre des cas de  cancers. Pour Johanna Lees, les preuves sont pourtant déjà là. «Le risque à demander des études et des études, c’est que l’on va toujours attendre la preuve de la preuve (...) À un moment donné les études ça suffit, il y a des politiques publiques à mettre en œuvre.»

Le 8 février, l’intégralité de l’enquête est à retrouver sur notre site en vidéo.
L’équipe de Mediavivant

Pour aller plus loin :

Torchages en série chez Naphtachimie
L’usine, spécialisée dans la pétrochimie, est installée sur la plateforme industrielle de Lavéra, à Martigues. Cette installation fait partie des 50 sites les plus polluants de France. Elle est régulièrement épinglée pour ces incidents à répétition, notamment des épisodes de torchage qui laissent échapper dans l’atmosphère des fumées noires très polluantes comme ce fut le cas en octobre dernier ou en novembre 2021.

La direction déclarait à cette occasion : «suite à un déclenchement de chaudière vapeur, et afin de mettre en sécurité les installations nous avons été contraints, d'envoyer à la torche d'importantes quantités d'hydrocarbure.» En 2009, une fuite d’hydrocarbure avait même brûlé au second degré deux salariés du site. Naphtachimie est une filiale de Total Raffinage Chimie et INEOS.
L’étude Fos Epseal et l’épidémiologie populaire
L’étude participative en santé environnementale ancrée localement (Epseal), financée par l’Anses et dirigée par la sociologue américaine Barbara Allen, a débuté en 2015. Son objectif était de «produire» des connaissances «légitimes, robustes et pertinentes» en santé environnementale en associant les habitants des villes étudiées à toutes les étapes de la recherche. Le premier volet visait à comparer l’état de santé d’habitants vivant sur le front industriel dans les villes de Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône et de les comparer à la population de Saint-Martin-de-Crau, hors de ce front industriel.

Pour ce premier volet, l’équipe franco-américaine, basée au Centre Norbert Elias, a mené son enquête au porte-à-porte durant sept mois en 2015, touchant plus de 800 foyers dans les deux villes. C’était la première fois que cette méthode participative, baptisée «épidémiologie populaire» et née aux États-Unis, était utilisée en France. En juin 2022, l’équipe a publié les rapports finaux de cette étude.
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